It's all what I talk about, when I talk about my work... ( Raymond presque Carver)
- La peinture ?
- Oui, la peinture...
Le motif a toujours été comme un fil rouge de mon travail ; quand je choisissais un motif, j’apprenais à le repérer partout, dans les images, dans mon environnement, dans les mouvements ou les paroles des gens… je consignais les champs lexicaux et émotions qui y étaient reliés.
Aujourd’hui, c’est la notion-même de motif, sa nature profonde et notre rapport à celui-ci qui nourrit mon travail. Le motif est ce qui est reconnu de façon inconsciente, et qui a le pouvoir de stimuler et d’agir physiquement sur les personnes par l’expérience
graphique.
- L'émotif?
- Non, le motif... quoique...
Je pratique la peinture comme un sport ; cela nécessite une réelle mise en condition, à la fois physique mentale et poétique. Parfois je choisis un vêtement, je choisis une musique, une promenade ou un silence, qui correspondent à l’état dans lequel je veux me plonger ; je commence généralement par le mouvement seul, puis viennent l’outil et l’encre… à partir de là il me faut une trentaine de traces, de jets, d’essais pour m’aligner à l’outil et au type de support que j’ai choisis.
Et puis je me lance dans un exercice qui s’invente au fur et à mesure que je l’épuise et l’enrichit à la fois, dans une micro pratique qui se définit et se diffracte dans un même effort.
C’est comme ça que j’arrive à repérer le motif qui fera l’objet d’une série, motif qui peut être un mouvement caractéristique, un rythme, une émotion… Ce motif que je vais développer, étudier et collectionner. Ainsi les séries forment des sortes d’archives, de répertoires de gestes picturaux, des relevés d’impulsions, des alphabets de langues abstraites, des typographies de l’exercice et de l’instant… elles recensent les variables d’une pratique reconnaissable mais innommable.
Le double sens du motif a donc toute sa place : le motif de l’acte pictural est le motif visuel qui est finalement la trace de l’acte. Celui que je cultive continue de me stimuler dans la sensation qui me permet de le reconnaître.
Ainsi chaque tableau donne autant à voir le motif visuel que l’histoire qui a mené à sa réalisation, histoire qui est parfois vécue comme une anecdote, parfois une mémoire floue, …ou une grande épopée.
- Du collages et des éditions ?
- Oui, ça aussi...
Pour pousser la logique de collection, je me suis mise à découper certains motifs et à les combiner, rompant donc l’impératif d’instantané et l’irrémédiable du geste unique. Certains motifs constituent des trames de fond ou des écrins visuels qui servent à accueillir d’autres motifs ou combinaisons de motifs.
De la même manière que l’on assemble des mouvement pour en faire une partition chorégraphique, ces collages donnent à voir ces gestes remis en scène, des sortes de montage dont toute la timeline serait visible dans le même instant, introduisant la confusion dans le temps du geste.
Dans cette démarche de re-composition, je travaille aussi à des formes d’édition (en combinant plusieurs dessins recto-verso, assemblés, pliés et découpés de manière à constituer de petits livrets) qui, contrairement aux collages, vont venir fragmenter les gestes (picturaux) d’origine de façon aléatoire et y introduire une temporalité complètement différente pour celui qui le découvre en tournant les pages. C’est le lecteur qui, en feuilletant, active et régule cette nouvelle chorégraphie fragmentaire tracée à l’encre.
- Et sinon ?
- Sinon, dessiner, c’est un jeu dont la règle s’invente au fur et à mesure du geste.